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  • Photo du rédacteurLaurent Le Guyader

Un déblocage généalogique avec Gallica

Dernière mise à jour : 21 mai


Un Turc assassin de sa femme, Audience des 5 et 6 mai 1902, Cour d'Assises de Meurthe-et-Moselle, L'Est Républicain des 7 et 8 mais 1902, Gallica.fr


La Bibliothèque nationale de France (BNF) met à disposition des outils très intéressants pour la généalogie : gallica.bnf.fr et retronews.fr. Il y a de fortes chances de retrouver des ancêtres sur ces sites en recherchant dans la presse locale ou dans les annonces officielles. Il y a quelques années, j'ai découvert un fait divers en lien avec ma famille que j'ignorais totalement dans La presse locale.

Dans ma généalogie bretonne, j'ai été intrigué de retrouver deux décès d'enfants le même jour. Supposant une maladie ou même plutôt un accident, j'ai voulu donc vérifier sur Gallica, dans les journaux locaux, si un article ne mentionnait pas la famille que je recherchais. Effectivement, un fait divers m'a informé de toute l'affaire : un incendie avait eu lieu dans la ferme où ils habitaient et les enfants qui y dormaient n'ont pu être sauvés. Les articles de journaux m'ont renseigné sur les circonstances du drame et sur des détails concernant cette famille : les biens immobiliers qu'ils possédaient sur la ferme avant l'incendie.


Aussi, j'ai maintenant le réflexe de faire des recherches sans ces sites. En généalogie arménienne également, la recherche sur Gallica peut être très fructueuse. Il y a deux ans, je me suis rendu à un salon de généalogie où j'animais une conférence sur l'avenir de la généalogie arménienne. À l'issue de notre conférence, comme souvent, un participant, ici un président d'association de généalogie en province, nous a exposé ses recherches personnelles et son étonnement d'avoir découvert dans sa généalogie un mariage entre un étudiant arménien de Paris, Ruben Sislian, originaire d'Adana et une de ses cousines éloignées au début du XXe siècle dans la Nièvre. Effectivement, ses ancêtres restaient généralement ancrés dans leur terroir et les Arméniens n'ont migré en France de manière massive qu'à partir de 1922, après le génocide des Arméniens. Après ce mariage, ce généalogiste aguerri perd la trace de ce couple à Paris et me demande des pistes pour retrouver ce couple. Est-il possible qu'ils se soient installés dans l'Empire ottoman ? J'énonçais deux éléments que je pouvais supposer du patronyme et sur le contexte historique : premièrement, la présence effective d'étudiants arméniens en France à cette époque, envoyés par leur famille généralement aisée. Ces Arméniens s'installaient ensuite en Europe, aux États-Unis pour commercer avec l'Orient ou revenaient dans l'Empire ottoman où ils constituaient l'élite de leur nation. Deuxièmement, le patronyme de Sislian donne lui-même des indications sur l'origine de la famille de cet Arménien né à Adana en Cilicie. Le suffixe "lian" indique une provenance géographique, en l'occurrence, qu'il est originaire de Sis. Sis est la capitale de l'ancien Royaume de Cilicie justement. Nous avons donc un Arménien dont la famille originaire de Sis (actuellement Kozan) en Cilicie, installée à Adana, le grand port de Cilicie. Cette famille a envoyé leur enfant pour étudier en France.

Disposant de très peu d'éléments pour débuter cette recherche, la tâche me semblait assez ardue pour retrouver des éléments permettant de débusquer le couple. De retour du salon, quelques jours plus tard, je me suis lancé dans cette recherche pour voir si je pouvais trouver des éléments. Ma surprise fut assez grande quand la réponse à toutes les interrogations fut apportée finalement en une demi-journée de recherche.


Ma première trouvaille fut de trouver une trace de la mère de cet Arménien à Constantinople. Une plainte retrouvée de celle-ci contre son frère, drogman-traducteur pour l'ambassade de France à Constantinople. Nous avions un point de départ pour la recherche à l'étranger. Cette recherche a été réalisée sur Gallica qui possède également des journaux francophones de l'Empire ottoman.


Mais les recherches prirent une autre tournure et se recentrèrent essentiellement en France à la suite de la découverte d'articles dans l'Est Républicain. Un fait divers, une nouvelle fois : le compte rendu d'un procès à la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle à Nancy, le jugement d'un féminicide : l'assassinat de l'épouse par son mari arménien. Cette découverte stupéfiante était une nouvelle fois très détaillée dans les journaux qui nous apprenaient les circonstances de l'assassinat par arme de la femme. Le compte rendu des deux jours du procès les 5 et 6 mai 1902 sont relatés. On y apprend les détails sordides de l'affaire : la dilapidation de la fortune de la dame par son mari, les maltraitances qu'elle subissait à Paris, battue et enfermée à domicile. La grossesse de l'épouse a été le déclenchement de cet acte prémédité. Le mari a voulu convaincre sa femme d'avorter, puis l'a isolée à Nancy pour trouver une nourrice pour se débarrasser de l'enfant. A Nancy, il va finalement de se procurer une arme à feu et finit par tirer sur sa femme en pleine rue. Celle-ci grièvement blessée désigne son agresseur aux témoins comme étant son mari qui finit par prendre la fuite. Pendant tout le procès, malgré les témoignages accablants de ses voisins, des témoins du drame, du médecin légiste, le mari niera avoir tué sa femme.

Il sera condamné à l'issue du procès 20 ans de travaux forcés. J'ai pu retrouver ensuite son décès survenu à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane quelques années plus tard. En une demi-journée, avec Gallica, j'ai pu retracer la destinée tragique en France de cette famille qu'on supposait émigrée dans l'Empire ottoman, avant le génocide.


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